A la sauvegarde du Panicaut vivipare

 

 

Erwan GLEMAREC

 

Conservatoire botanique national de Brest

 

Coordinateur du plan national d'actions en faveur du Panicaut vivipare

 

e.glemarec@cbnbrest.com

 

 

 

Le Panicaut vivipare, Eryngium viviparum J.Gay, est une espèce rarissime dont l'unique station française se trouve à Belz dans le Morbihan. Une mobilisation collective, à laquelle participe l'Arche aux plantes, travaille pour sa conservation et la restauration des populations disparues.

 

Un panicaut, vivipare comme le lézard ?

 

La première description botanique d’Eryngium viviparum est donnée par J. Gay en 1848. Cette espèce a été décrite dans le Morbihan. Cette jolie plante est petite, mesurant un à douze centimètres de hauteur. Elle possède des rosettes généralement appliquées sur le sol, d’un vert à tendance bleuâtre, d’où émergent des axes florifères plus ou moins dressés ou couchés. Les feuilles basales sont dentées. Au début de l’été, une première ombelle se forme au centre de la rosette principale, ensuite une tige qui portera les fleurs se développe à partir du centre de la rosette. Ensuite cette tige se ramifie. Apparaissent alors plusieurs petites ombelles aux fleurs bleues et sessiles. A l'aisselle des bractées situées sous ces ombelles, peuvent se développer des radicelles blanches. L'ombelle devient alors rosette et peut s’ancrer au sol et donner naissance à un nouvel individu. Ce mode de reproduction semble être le moyen de propagation principal. Cette capacité de multiplication est à l'origine de son nom de vivipare, une rosette pouvant rapidement constituer un gazon dense de jeunes individus autonomes.

 Eryngium viviparum : le panicaut vivipare

 

 

Une plante rare en Armorique et en péninsule ibérique

 

Cette espèce est protégée en France et inscrite à la directive habitat faune-flore européenne. Elle est répertoriée dans plusieurs listes rouges, dont la liste mondiale de l'Union internationale pour la conservation de la nature, avec le statut En danger, à l'instar de l'Éléphant d'Asie,  du Lynx ibérique, de l'Hippopotame nain ou du Manchot des Galapagos.

 

En France, le Panicaut vivipare était auparavant connu  sur un seul petit secteur du Morbihan. Il et désormais présent dans une unique station à Belz (entre 5000 et 8000 individus sur la réserve associative Bretagne Vivante des Quatre chemins). L'espèce est également présente dans plusieurs stations au Nord-Ouest de l'Espagne, dans les provinces de Galice et de la Castille-Léon, et au Portugal, où une unique localité est recensée dans la province de Bragance. Sous climat aux influences méditerranéennes, le Panicaut vivipare possède des feuilles plus fines et piquantes caractérisant la sous-espèce bariegoi récemment décrite.

 

Panicaut vivipare, une espèce ibéro-armoricaine (Yann Guérin)

 

Une écologie surprenante et atypique

 

Les milieux de prédilection du panicaut vivipare sont des gazons ras et peu denses, sur des sols humides et pauvres en éléments nutritifs disponibles, faiblement acides. L'espèce est toujours liée à des ambiances chaudes,  avec une nette préférence pour les paysages de landes à ajoncs et bruyères. Le plus surprenant est la grande variabilité des conditions d'humidité recherchée par la plante. En effet, le Panicaut vivipare affectionne les milieux soumis à de fortes fluctuations du niveau d'eau. C'est donc une écologie atypique, car l'espèce apprécie être immergée une longue partie de l'année, à l'abri du froid hivernal, mais aime profiter d'un milieu sec et ensoleillé l'été pour sa floraison et sa reproduction.

 

Pourquoi le Panicaut vivipare est en danger d'extinction ?

 

La transformation de l'usage des sols est la raison principale de la quasi disparition de l'Eryngium viviparum. L'urbanisation croissante, le tourisme et l'évolution de l'agriculture, sylviculture, ont modifié les paysages morbihannais, mais également ibériques, depuis une cinquantaine d'années. Sur le plan agricole, les nombreuses petites fermes en polyculture et poly-élevage ont disparu au profit d'une agriculture plus intensive. De tels changements ont des conséquences sur la disparition des milieux naturels. La transformation ou l'abandon des terres de landes ont changé le paysage, et le Panicaut vivipare qui apprécie les terrains ouverts a parfois disparu sous les fourrés et boisements.  Il est connu désormais que le pâturage très extensif, sous forme de parcours, est favorable au Panicaut vivipare. Le pâturage des prairies humides en été jusqu'aux fortes pluies automnales permet l'ouverture du tapis végétal et le déplacement des fruits et des propagules dans le sol. De plus, auparavant, les prélèvements de sols étaient multiples (faîtages, enduits, briques). Les trouées réalisées étaient propices au développement du Panicaut vivipare. La présence de mare était auparavant plus coutumière qu'aujourd'hui.  Toutes ces évolutions ont entraîné la disparition des conditions écologiques nécessaires à l'espèce.

 

Un plan national d'actions

 

Malgré l'ensemble des mesures de conservation mises en place depuis plus de vingt ans par le Conservatoire botanique national de Brest en partenariat avec de nombreux organismes, dont l'association Bretagne Vivante propriétaire et gestionnaire de la station de Belz, la dernière station française de Panicaut vivipare reste malgré tout dans une situation incertaine.

 

Un plan national d'action 2013-2018 (PNA) a été mis en place à l'initiative du CBNB, soutenu par le ministère de l'Environnement. L'objectif de ce programme d'actions, établi pour cinq ans, est de rassembler l'ensemble des forces vives mobilisées pour la conservation durable du panicaut vivipare, d'améliorer les connaissances concernant la biologie et l'écologie de l'espèce, pour permettre la conservation et l'extension de la population de Belz, ainsi que la restauration de populations disparues. Les trois axes de ce plan sont la conservation du Panicaut vivipare dans sa station actuelle et la création d’un réseau de sites refuges en vue d’y introduire l’espèce, l'amélioration des connaissances sur la biologie, la génétique et l’écologie du Panicaut vivipare, et l'information et sensibilisation du public. Depuis 2013, de nombreuses actions ont été mises en place.

 

L'actuelle station se trouve sur une réserve associative de cinq hectares à Belz. A proximité, des terrains sur les landes du Bignac ont récemment été achetés au titre des espaces naturels sensibles par le département du Morbihan. Désormais, un comité de gestion commun se réunit pour travailler à la conservation d'un espace naturel plus grand d'une trentaine d'hectares afin de rétablir les connexions entre la station du Panicaut vivipare et les landes autour, permettant à long terme la pérennisation du pâturage mené sur la réserve et l'extension de la population du Panicaut vivipare. Un plan de gestion est en cours de rédaction, comportant l'analyse historique du paysage, la cartographie, les inventaires faune et flore complémentaires, l'approche socio-économique du site et la définition d'enjeux et actions de conservation.

Réserve des Quatre chemins – Belz (56)

 

Au Conservatoire, la culture et des tests de germination sont menés afin de maintenir du matériel vivant nécessaire pour les tests  génétiques préparatoires et les expérimentations de renforcement et de réintroduction sur les sites naturels.

Culture du Panicaut vivipare à Brest

 

Les échanges avec divers jardins botaniques, conservatoires botaniques et le Museum National d’Histoire Naturelle constituent une veille et un suivi des herbiers et des cultures d’Eryngium viviparum menés dans d’autres structures. En 2015 des planches de l’herbier général E.H Tourlet de l’Université de Tours ont été consultées et des échantillons de différentes stations ont été récoltés. Très récemment, le Museum de Bayonne a contacté le Conservatoire afin de faire part de l’existence de planche d’herbier d’Eryngium viviparum, spécimen récolté à Séné dans le Morbihan à la fin du XIXème siècle.

 

En 2014, une session de prospection de l'ensemble des sites historiques de l'espèce et de sites naturels favorables sur le Pays d'Auray a été réalisée. 9 sites ont été sélectionnés et priorisés. Ils constituent le socle d’un futur réseau de sites refuge.

 

Des premiers tests de réintroduction ont été menés en octobre 2015 sur deux sites, sur les communes de Plouharnel, terrain du Département du Morbihan, et à Carnac, terrain des Monuments nationaux (alignements mégalithiques). Il s’agit d’expérimentation de réintroduction qui ont pour but d’évaluer les paramètres qui influencent la réimplantation (méthode, période, écologie,...). 484 individus et 484 fruits ont ainsi pu être réimplantés sur l’ensemble des deux sites choisis. Des actions similaires, sur deux sites complémentaires, seront menées à l'automne 2016.

Réintroduction du Panicaut vivipare

 

Les études génétiques engagées depuis 2013 ont été poursuivies sur la population de Belz et les populations espagnoles et portugaises. Début 2015, les résultats concluent que 9 marqueurs microsatellites sont disponibles pour la suite de l'étude. Ces marqueurs présentent un bon de niveau de polymorphisme, permettant de comparer les différences génétiques entre la population bretonne et les populations ibériques. Les compléments d'études menés en 2016 sont en cours d'analyse.

 

Une thèse de doctorat, de l’Université de Bretagne Occidentale (Brest) en collaboration avec le CBNB, « Contribution à la connaissance de la biologie et de l’écologie du Panicaut vivipare en vue de sa conservation et de sa réintroduction », a démarré en octobre 2014. L'objectif est de consolider et amender les connaissances sur les conditions écologiques nécessaires au maintien de l’espèce, sur les modalités de reproduction et caractérisation génétique des populations en France et en péninsule ibérique, et l'expérimentation de réintroduction.

 

En août 2016, une visite conjointe des sites ibériques avec l’UBO et l’Université de Santiago de Compostella, a permis l'actualisation des inventaires sur les stations espagnoles et portugaises, la réalisation de mesures écologiques et l'estimation des tailles de populations (en parallèle des travaux génétiques en cours, sur les même stations) et la visite, l'échange et le retour d'expériences sur les expérimentations de réintroduction menées par nos homologues espagnols. Cette mission de terrain a été soutenue financièrement par l'Arche aux plantes.

Campobajero (Palencia), station la plus haute connue 1150m d’altitude

 

 

Des communications scientifiques (revues spécialisés, colloques), des articles de presses, des réunions publiques et des animations sur site sont réalisées afin d'informer autour du projet et de sensibiliser le monde scientifique, les élus et le grand public à la nécessité d'actions pour la préservation du Panicaut vivipare et de son habitat naturel.

 

Les photos sont de Erwan Glémarec (CBN).